TRIBUNE : Oui à une loi qui change vraiment l’industrie de la mode ! 

Publiée dans Le Monde le 13/03/2024

L’industrie de la mode et de l’habillement est, depuis plusieurs années, pointée du doigt comme un secteur particulièrement polluant et irrespectueux des droits humains. Les enseignes et entreprises françaises sont soumises à des législations et normes de plus en plus exigeantes.

Un nombre croissant d’entres-elles, petites et grandes, investissent pour une plus grande traçabilité, une fabrication locale (France et Europe), la valorisation des textiles de seconde-main ou usagés, etc. Elles ont des boutiques dans nos villes, payent des impôts, dialoguent avec les institutions, jouent un rôle de cohésion économique et sociale, etc.

Elles sont aujourd’hui confrontées à une concurrence déloyale : Celle des entreprises de l’ultra fast-fashion vendues en ligne (plus de 20% du marché), qui s’affranchissent trop souvent des normes environnementales et sociales européennes, et qui détruisent les commerces physiques, des emplois et désertifient nos centres villes.

C’est pourquoi nous soutenons le projet de loi sur la fast-fashion.

Malheureusement il ne prévoit pas de mesures suffisamment ciblées et de moyens à la hauteur de la crise que traverse le secteur de la mode française et au changement des comportements de consommations nécessaires.

Lorsqu’un produit est vendu sur notre territoire, il doit respecter des normes de fabrication, dans sa chaîne d’approvisionnement, les compositions, l’information, la publicité, la propriété intellectuelle, etc. Les entreprises, qui ont leur siège et/ou fabriquent en France ou en Europe, sont soumises à des contrôles. Mais aujourd’hui comment vérifie-t-on le respect de ces normes pour les importations et la vente en ligne par des entreprises basées à hors Europe ? Comment est vérifiée la sincérité des déclarations ?  Il est urgent de renforcer les contrôles, en particulier quand il s’agit de produits achetés en ligne. La loi devrait prévoir davantage de moyens avec une approche intelligente, en prenant en compte, les spécificités relatives au secteur de la mode.

Parmi ces normes, il y a la loi sur le devoir de vigilance française. Cette loi, particulièrement importante adoptée en 2017, est censée obliger les grandes entreprises à mettre en œuvre un plan de vigilance « pour prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement« . Cette exigence n’est assortie d’aucune sanction en cas de non-respect. Et les moyens d’évaluation sont extrêmement restreints. De l’avis même du ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, le premier bilan laissait apparaître qu’il “reste du chemin pour rendre pleinement effectif le devoir de vigilance dans les chaînes de sous-traitance. Afin d’être appliqué plus efficacement, le devoir de vigilance devrait être appliqué au niveau européen ». Avant de se lancer dans cette nouvelle législation, il eut fallu soutenir  la directive européenne sur le devoir de vigilance. Pourquoi a-t-elle été enterrée, y compris par la France ?

Nous invitons, en ce sens, à prendre l’exemple sur d’autres pays, dans lesquels les entreprises, qui sont soupçonnées de mauvaises pratiques, doivent apporter la preuve que ce n’est pas le cas. C’est ce que l’on appelle l’inversion de la charge de la preuve.

Concernant la surproduction de vêtements, disons les choses clairement, elle est boostée par l’utilisation de matières issues de la pétrochimie, émettrices de micro-plastiques, comme le polyester : facile à transformer, et peu cher. 65% des produits textiles en sont composés. Il faut particulièrement pénaliser ces matières dans la taxation des produits mis sur le marché.

Le projet de loi prévoit un malus pour les produits les plus polluants. Il est indispensable que le polyester soit particulièrement ciblé.

Nous sommes inquiets car aujourd’hui il n’est toujours pas totalement exclu d’utiliser un outil de mesure (PEF : product environmental footprint) pour l’affichage environnemental, qui conduirait à ce que le polyester soit considéré comme moins polluant que la laine dans certains cas. Quelle garantie avons-nous sur la position définitive de la France dans la négociation sur la directive européenne Greens Claim qui traite de ce sujet et qui est en cours de discussion ? Quid également de la révision du règlement douanier européen, pourquoi ne pas agir pour faire en sorte que les achats pas chers en ligne (moins de 150 euros par colis aujourd’hui) cessent d’échapper aux droits de douane ?

Sur ces sujets parfois techniques, il y a une personne clef : le consommateur.

Le projet de loi propose de mieux l’informer, avec des « mentions légales » pour transmettre des consignes sur les impacts du textile et le recyclage. Il faudrait là aussi aller plus loin avec une approche offensive sur les réseaux sociaux (y compris lorsqu’il s’agit de « micro-influenceurs » particulièrement ciblés par les marques d’ultra fast-fashion).

L’augmentation des malus en fonction du volume et de la qualité écologique des produits est une très bonne nouvelle. Mais nous sommes préoccupés car le fait de voir augmenter les prix des vêtements pourrait être perçu comme une privation supplémentaire par certains consommateurs. La loi confirme des mesures déjà existantes comme le bonus pour la réparation des produits et des aides directes aux entreprises. Si l’on veut vraiment embarquer les citoyens dans un nouveau mode de vie et de consommation, il faudrait aller plus loin. Comme pour le bonus direct pour l’achat de véhicule électrique neuf ou d’occasion, nous devons concevoir ensemble un bonus écologique, une aide directe à l’équipement,  pour les consommateurs qui choisissent des vêtements « bas carbone » fait en France.

Le secteur textile emploie plus que l’automobile en France et pèse dans nos émissions de GES et notre dépendance économique, il vaut bien cet effort.

Majdouline Sbai, sociologue de l’environnement, Marguerite Dorangeon, fondatrice de Clear Fashion, Annick Jehanne, présidente Fashion Green Hub

Ce texte a été signé par plus de 40 dirigeants d’entreprises, fabricants, marques et chercheur-ses français-es du secteur de la mode.