Pourriez-vous retracer votre parcours en quelques mots?
Bertrand Thuillier : Après des études de biologie et d’écologie, je me suis orienté vers l’environnement. J’ai fait du conseil, puis de la formation pour adultes, avant de devenir consultant en développement durable. Pendant 17 ans, j’ai accompagné des collectivités et des entreprises sur les thématiques de la gestion du changement, notamment climatique, l’éco-conception, etc. En parallèle, j’ai poursuivi des recherches sur l’économie régénérative et les modèles symbiotiques. Je suis ensuite entré chez Vinci, au sein du bureau d’études Environnement et sciences du vivant. J’ai rejoint il y a quelques mois l’établissement d’enseignement supérieur privé Lumia (06) en tant que chargé de recherche-action en économie régénérative.
Quel est votre rôle au sein de Lumia?
Bertrand Thuillier: Lumia a été créée il y a deux ans par un collectif de chercheurs, emmenés par Christophe Sempels. L’idée fondamentale, c’est qu’il faut transformer les personnes avant de transformer le modèle économique d’une entreprise. Il y a donc plusieurs pôles : une école de la transition, ouverte à tous, un pôle de formation des dirigeants et cadres, et le pôle de recherche-action, au sein duquel je travaille. Dans ce cadre, nous sommes en train d’établir un référentiel et un mode d’emploi, pour permettre aux entreprises de passer de leur modèle actuel à un modèle régénératif.
Quels sont les grands principes qui guident l’économie régénérative?
B.T : Actuellement, particuliers et entreprises sont invités à réduire leur impact sur l’environnement. Ce n’est pas suffisant pour enrayer le changement climatique et les dégâts causés sur les écosystèmes, comme sur les communautés humaines. Le modèle régénératif invite à aller plus loin, en réfléchissant en termes d’impact socio-écologique net positif. C’est-à-dire, comment laisser une ressource, non pas le moins abîmée possible, mais en meilleur état qu’avant notre passage. Pour cela, il faut raccrocher son modèle économique au vivant, pour bien identifier les différentes façons dont son activité affecte les écosystèmes, ici ou à l’autre bout du monde.
Mais selon les domaines d’activité des entreprises, le diagnostic sera plus ou moins difficile à établir, et les moyens d’actions, plus ou moins directs.
B.T : En effet, si les principes restent les mêmes, selon le type d’entreprises, les problèmes à adresser ne seront pas les mêmes. Mais toutes les entreprises sont concernées. Dans le BTP par exemple, la question se pose déjà de façon très concrète. Dans les nouvelles technologies, le lien avec la ressource naturelle peut être plus ténu. Il faut alors réfléchir autrement, trouver comment avoir un impact positif au travers d’une autre partie prenante. Ou comment accompagner sa communauté de clients, pour les aider, à leur tour, à changer de modèle. Il y a différentes façons d’avoir un impact positif.
Sentez-vous les entreprises prêtes à changer en profondeur leur modèle, malgré les investissements et les contraintes que cela implique?
B.T: C’est en effet un changement radical, une rupture. Cela peut prendre du temps, jusqu’à deux ou trois ans. Mais les dirigeants d’entreprises sentent bien de toute façon que l’on arrive au bout d’un modèle. La comptabilité en triple capital, méthode de référence qui permet de mesurer la performance sociale et environnementale des entreprises, en plus de la performance économique, est parlante. Elle permet d’évaluer les dépenses qui seraient nécessaires à une entreprise, pour compenser les effets néfastes de ses activités. Il est établi que 95% des entreprises mettraient la clé sous la porte si elles étaient réellement facturées pour les dommages qu’elles causent.
J’ai assisté récemment à la Convention des Entreprises pour le Climat, qui réunit 175 entreprises de toutes tailles. Elles ont toutes pris conscience des enjeux. Nous sommes, de toute façon, rattrapés par la physique. Le coût des énergies est exorbitant, il y a des pénuries de matières premières dans tous les secteurs… Elles se rendent bien compte qu’il n’y aura pas d’autre solution que d’aller vers la régénération. La réduction de l’impact ou la compensation ne suffisent plus, il faut passer à une étape supérieure.
Quels sont les premiers leviers à actionner pour les entreprises qui voudraient se lancer dans cette dynamique?
B.T: Nous sommes en train de mettre au point des outils diagnostics et surtout, des feuilles de route. L’idée est de rendre la démarche mesurable et duplicable, avec des objectifs clairs. Pour ce faire, nous accompagnons déjà une quinzaine de chefs d’entreprises. Et nous sommes en train de constituer un corpus d’une centaine d’entreprises de différentes tailles, et de tous secteurs. Avec elles, nous testerons des outils, pour voir jusqu’où on peut pousser l’exercice. L’idée est également de créer des premiers écosystèmes coopératifs, entre les entreprises engagées sur ces sujets. Au cours de mon intervention lors des Fashion Green Days, j’aurai l’occasion de détailler deux cas pratiques. Deux exemples d’entreprises qui se sont engagées sur la voie du modèle régénératif, pour justement, répondre à cette question simple: «comment on y va?».
Retrouvez le replay de l’intervention de Bertrand Thuillier sur les business model régénératif ici.
Jeanne Magnien
Journaliste, je suis passionnée par les sujets textiles et notamment, la façon qu’a l’industrie de se réinventer. À la croisée de quantités d’enjeux contemporains, environnementaux comme sociaux, elle relève tous les défis!