Plus qu’une prise de conscience, c’était un souhait fondateur : sauver de la destruction des vêtements et des stocks textiles voués au rebut, les faire renaître sous une autre forme.
Voilà ce qui semble avoir poussé Sophie Pignères, la fondatrice de Weturn à créer ce véritable transformateur de matière, solution de recyclage nouvelle génération.
Issue de l’économie collaborative, Sophie a eu l’idée d’apporter aux marques et acteurs de l’industrie une réponse précise à la loi AGEC afin d’accompagner la filière dans sa transition écologique.
Weturn a aujourd’hui 3 ans. Dans cette jeune entreprise qui compte désormais 11 personnes, on a la circularité chevillée au corps et une obsession : utiliser l’immensité des gisements de matière disponible et évangéliser sur la qualité des étoffes recyclées.
Cette conviction a donné naissance à un process singulier qui repose sur une grande efficacité logistique. La méthode Weturn, c’est la maîtrise de la chaîne de valeur : de la récupération des stocks d’invendus jusqu’à la traçabilité et la mesure d’impact de la nouvelle matière créée. Et pour fêter son 3e anniversaire, la société vient d’annoncer le lancement de sa toute nouvelle plateforme Saas VALO, un outil de gestion de la phase de tri, afin d’intégrer facilement cette étape à la supply chain des acteurs de la filière.
Helène Geneau est designer textile et responsable innovation matière chez Weturn. Elle a décidé de mettre son expertise de 15 ans d’éco-conception au service de cette vision. Elle nous raconte comment cette idée a pris forme jusqu’à devenir un catalogue unique de matières naturelles et performantes à partir des gisements existants.
Weturn, c’est donc une recréation de matière à partir de stock d’invendus ? Comment ça marche exactement ?
C’est un process séquencé, dans lequel le tri prend une place fondamentale. Les gisements de matière sont multiples : fins de rouleaux, stocks dormants, chutes, stock de vêtements invendus…nous avons plusieurs sources possibles. Tout commence par un travail minutieux d’analyse de chaque lot. Nous les regroupons par spécificité (type de tissage, couleur, composition…) et sélectionnons les plus intéressants pour notre approche : qualité, séparabilité des fibres…A l’issue de ce processus de sélection, les stocks vont être dispatchés vers leurs différentes utilisations possibles, dont celle qui est au cœur de notre métier : le recyclage de la fibre.
Les lots de vêtements ou rouleaux sélectionnés sont ensuite détissés, effilochés de manière à récupérer la fibre intéressante. Nous allons ensuite refiler cette fibre courte en la mélangeant avec des fibres vierges de manière à créer un nouveau fil, qui sera utilisé pour créer une nouvelle étoffe. Ainsi, à partir d’un stock mort ou dormant, nous créons une nouvelle matière première maille ou chaîne et trame.
Vous êtes donc des fournisseurs de tissus recyclés ?
Oui, en quelque sorte, mais pas que! En effet, ces nouveaux textiles labellisés MT® alimentent en continu notre tissuthèque de matières recyclées innovantes. La pratique et l’expérience nous ont permis de développer des recettes de tissage et une répétabilité des lots proposés. Ainsi on peut trouver chez nous des références récurrentes : molleton, jersey, denim, gabardine ou toile cretonne sont nos principales armures développées dans différents grammages.
Mais notre axe de travail majeur est le développement de nouvelle matière en boucle fermée.
Qu’entendez-vous par création en boucle fermée ?
La création en boucle fermée, c’est un développement ad-hoc de matière à partir du stock du client. On est ici au cœur même du principe de circularité : permettre à nos clients de valoriser les déchets ou rebuts qu’ils génèrent. Retarder la fin de vie de leurs produits. Et ainsi les aider à mettre en place un cercle vertueux de gestion de leur stock textile. C’est une démarche qui intègre pleinement le principe d’écoconception.
Il faut savoir que le textile est une des matières les plus complexes à recycler, bien plus que le métal, le verre ou le papier. C’est ce qui donne aussi tout son sens à cette démarche d’écoconception : intégrer la recyclabilité et la minimisation de l’impact dès la conception du produit. Avancer main dans la main, en partant des ressources du client pour créer avec lui le textile idéal. En tant que designer textile, ma mission est de suivre tout le développement pour élaborer la recette adéquate et aboutir à une matière recyclée exclusive correspondant à ses attentes. C’est ce défi de la complexité que j’aime relever au quotidien avec nos clients.
Quels sont vos clients type ?
Nous travaillons beaucoup avec des maisons de luxe. Mais aussi des marques premium de taille moyenne, principalement européennes (France, Portugal, Espagne…)
La loi AGEC a donné un coup d’accélérateur à la prise de conscience. Ces maisons se sont structurées avec des départements RSE, dont nous avons observé qu’ils devenaient de plus en plus moteurs dans les stratégies industrielles. Par ailleurs, les acteurs du luxe sont particulièrement proactifs en matière d’écoconception. Intégrer ce type de clients chez Weturn nous permet de développer notre activité, d’étoffer nos équipes, de relever à chaque fois des défis matière nouveaux.
Comment gérez-vous le sujet de la performance technique des textiles ? Notamment l’intégration de fibres synthétiques dans les matières ?
Pour une question de circularité que nous souhaitons défendre et promouvoir le plus possible, nous privilégions les matières naturelles, notamment les gisements coton. Bien sûr, il peut nous arriver d’utiliser des fibres plus techniques, éventuellement cellulosique, ou comportant du Tencel, mélangées à des fibres naturelles. Si cela correspond à une demande très spécifique de notre client, avec des propriétés particulières souhaitées pour le tissu.
Mais chez Weturn, il y a cette dévotion pour la matière première naturelle. Compte-tenu de l’impact long terme des fibres synthétiques, nous préférons encourager un maximum l’utilisation des fibres naturelles, travailler main dans la main en écoconception pour créer des textiles performants, qualitatifs à partir de la fibre naturelle.
Quels sont les principaux défis aujourd’hui pour une initiative comme la vôtre ?
Le challenge majeur aujourd’hui c’est de faire coïncider recyclage et qualité dans l’inconscient collectif. Les produits recyclés souffrent encore parfois d’un a priori négatif : une qualité dégradée par rapport à l’original. Les fibres recyclées sont des fibres plus courtes…Le geste de détruire et refabriquer fait peur.
Or le recylage textile a atteint un tel niveau de performance aujourd’hui que les matières que nous proposons sont de grande qualité, tant au toucher, qu’à la résistance et la durabilité.
Nous avons donc un important travail d’évangélisation, de sensibilisation, de rencontres pour donner à voir ce niveau de qualité.
Nos matières sont toutes labellisées et leur parfaite traçabilité nous aide considérablement dans cette mission car chacun de nos tissus est entièrement traçable depuis le point 0 de son process de fabrication.
Retrouvez Hélène Geneau de Weturn aux Fashion Tech Days dans la Table ronde « Performance Circulaire » le 19 septembre prochain à l’Embarcadère.
Victoria Bonnamour
Créatrice et gérante de la marque Bonâme, un vestiaire féminin et culturel entièrement fabriqué en France en upcycling.
Elle est également enseignante en Économie du luxe et Histoire de la mode et autrice d’un blog sur le costume, l’art et la mode «L’étoffe des héroïnes ».