Quand on dirige une usine de tissage créée en 1929 en Isère, comment répondre au défi de préserver l’environnement près d’un siècle plus tard? Comment perpétuer un savoir-faire ancestral: fabriquer des étoffes précieuses, tout en s’adaptant aux besoins et aux contraintes du monde moderne? Aujourd’hui l’entreprise familiale PERRIN réussit le pari de continuer à produire mousseline, gaze, satin, crêpe, taffetas et autres tissus à base de soie pour la mode en réduisant son impact sur l’environnement. Comment y parvient-t-elle?

La question d’être performant et novateur chez PERRIN ne date pas d’hier. Il y a déjà au moins 40 ans l’entreprise décide de moderniser ses méthodes. Elle renouvelle tous les 10 ans ses métiers à tisser (une soixantaine dans l’usine de Grand-Lemps). Le but: consommer toujours moins d’électricité. En 2022, les métiers sont tactiles, plus compétitifs et moins énergivores.

La revalorisation des déchets par les Tissages Perrin

Se pose également la question des déchets. Dans un premier temps, l’entreprise a fait appel à un partenaire qui récolte cartons, papier, plastique pour les recycler… mais aussi chutes de tissu pour les transformer en matériau d’isolation pour les habitacles de voiture. Cependant, l’activité principale de l’usine résidant dans le tissage de la soie. Avec ces déchets nobles, il apparaît nécessaire de les valoriser davantage. Ce qu’on appelle les fausses lisières (qui correspondent aux bordures du tissu) sont ici en 100% soie. Ils représentent entre 2 et 3 tonnes de déchet par an.

Les tissages PERRIN mettent donc en place un système interne de collecte. Cette matière première est ensuite filée par un intervenant externe. On obtient ainsi un nouveau fil de soie, plus épais, moins doux et plus irrégulier que l’original mais écru (qui peut donc être teint). Ce matériau sert ensuite à fabriquer un tissu qui ressemble à du jean. Ce dernier est utilisé par une marque de mode réputée pour créer une collection capsule de pantalons et de blousons.

En ce qui concerne les rebuts de cachemire ou de laine (utilisés par l’entreprise en mélange avec la soie), ils sont retravaillés afin de créer une nouvelle étoffe. Ce matériau aux propriétés isolantes, plus noble que le polyester habituellement utilisé, est destiné à devenir la doublure de doudounes pour une autre maison de mode.

Les tissages PERRIN recherchent actuellement des solutions pour recycler intelligemment les autres matières qu’ils peuvent travailler : polyamide, polyester, viscose et élasthanne. La difficulté principale résidant dans la capacité d’un fil recyclé à être teint.

 

Vers des labellisations

On sait aujourd’hui que la mode et les consommateurs sont en demande de matières soit plus naturelles et moins néfastes pour la santé, soit moins polluantes car éco-conçues. Le PDG des tissages PERRIN avait déjà senti venir cette tendance il y a quelques années lors des salons textiles. Il entreprend donc de faire certifier certaines de ses collections. La mention GOTS (Global Organic Textile Standard) sur les tissus assure ainsi que les procédés de production et de transformation sont respectueux de l’environnement et contribuent au respect et à l’amélioration des conditions de travail, interdit l’utilisation d’intrants dangereux comme les métaux lourds toxiques, les solvants aromatiques, etc…  Le label Global Recyled Standard (GRS) permet de garantir des textiles recyclés avec le respect de critères environnementaux et sociaux (traçabilité des matières premières, production responsable, produits traités durablement, réduction de l’impact néfaste de la production sur les personnes et l’environnement…).

Abdel Belbaraka

Abdel Belbaraka

Directeur des Opérations chez Les Tissages Perrin

 

Les fabricants et distributeurs de mode, souvent sous la pression des consommateurs, se tournent de plus en plus vers des entreprises capables de transparence quant à leurs pratiques et activité. Le label Go for Good crée par les Galeries Lafayette valorisent des produits qui ont un impact moindre sur l’environnement. Ils soutiennent la production locale ou contribuent au développement social.

Les tissages PERRIN n’avaient pas attendu cette prise de conscience pour investir et se restructurer. En effet, ces valeurs correspondent à celles de l’entreprise depuis sa fondation au début du XXème siècle. Si elle a coutume de travailler de manière pérenne avec ses partenaires, développer de nouvelles collaborations, même pour de plus petits volumes, lui permet aussi de se challenger et d’aller encore plus loin dans ses responsabilités. Un client américain lui fait ainsi découvrir une procédure d’audit, le SMETA. Il compile les bonnes pratiques en matière de technique d’audit éthique.

On le sait, malheureusement la culture de la soie en France a disparu au XIXème siècle. Elle s’est délocalisée en Asie mais aussi au Brésil notamment. C’est là que s’approvisionnent les Tissages PERRIN en matière première. Pour tout le reste, leur activité se déroule en France et plus précisément en région Auvergne/Rhône-Alpes. La filature et le tissage sont réalisés en Isère tandis que la teinture est gérée depuis des années par son partenaire privilégié pour l’ennoblissement situé à côté de Lyon, berceau historique des canuts. Cette entreprise est elle-même engagée pour une mode circulaire.

On le voit, perpétuer un savoir-faire de tradition comme le travail de la soie n’empêche pas d’être à l’écoute des enjeux du monde actuel. En 2022, tisser ce produit d’exception destinée à la mode doit répondre à un cahier des charges de plus en plus exigeant, tant au niveau de la préservation des ressources naturelles que du respect des conditions de travail. Comme le dit ce proverbe chinois: «Avec du temps et de la patience, les feuilles de mûrier se transforment en robe de soie». On pourrait ajouter, en robe recyclable, dont la production a nécessité le moins de ressources et de produits chimiques possibles et dans des conditions de travail respectables.

Anne Hory Forest

Anne Hory Forest

 

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