La France possède un cheptel de près de 5 millions de brebis qui produisent environ 6000 tonnes de laine par an (*). Cette laine est de qualités très différentes et dont la valorisation est également variable. Les activités de transformation de la laine se sont raréfiées sur le territoire. La laine française était jusqu’à récemment exportée pour 80% vers la Chine. Celle-ci était majoritairement transformée pour le marché américain. Depuis la crise de la Covid-19, la Chine a cessé ses importations de la laine qui, de fait, s’accumule dans les hangars des éleveurs. Cette chute de la demande chinoise est catastrophique pour la filière. Et si l’outil productif français existe toujours, il doit être modernisé et mis aux normes environnementales.

Mais la filière est en train de retrouver ses lettres de noblesse. Elle se réinvente et offre sur le moyen et le long terme de véritables opportunités. De plus, le gouvernement a la volonté de promouvoir dans une logique vertueuse de développement durable et économique.

Une filière lainière locale à réinventer

Lucile Martin est tisserande et fondatrice de la maison de tissage Origines Tissage à Castres. Actrice passionnée de cette filière en Occitanie, elle explore de nouveaux débouchés avec des matières exclusivement naturelles, dans une démarche responsable pour répondre aux attentes sociétales d’une consommation locale et de pérennisation des savoir-faire.

Lucile Martin Origines Tissage
Origines Tissage Machne mécanique

L’amour des matières naturelles, laine, lin et chanvre

Lucile Martin découvre la laine à l’occasion d’un stage de tissage. C’est une révélation! Elle en fait l’une de ses fibres de prédilection avec le lin, le chanvre et le coton. Elle apprend le métier et se forme dans la Creuse. Cela est possible grâce au réseau Lainamac auprès de maîtres artisans reconnus, vit aujourd’hui de cette passion. Et même si elle ne possède pas encore son propre atelier (qui demanderait d’importants investissements en machines et bien qu’elle y songe), elle crée ses tissages dans un atelier ami adjacent où elle continue d’apprendre sur le terrain y compris sur la partie mécanique qu’elle adore, entourée de ses pairs. On ne tisse jamais seul !

Lucile cherche le juste équilibre entre origine, comportement de la fibre et effet de l’armure. Elle explore la voie de nouveaux approvisionnements comme la laine Mérinos d’Arles (la plus qualitative) ou de Normandie. Elle aime à laisser s’exprimer les couleurs et les teintes naturelles. Ses tissages sont à la fois artisanaux, c’est-à-dire réalisés sur des métiers en bois à bras et semi-industriels avec des machines mécaniques. Elle permet aux jeunes créateurs d’accéder à des métrages plus faibles (à partir de quelques dizaines de mètres) pour la réalisation de prototypes ou de petites séries. Son offre de commande collective, d’échantillonnage et de tissage à la commande est un vrai plus. Plus tard, elle aimerait l’élargir pour le secteur de l’ameublement au tissage de tapis haut de gamme. Elle souhaite également continuer à travailler des matières qui lui plaisent…

Mode et Vivant

Lucile incarne parfaitement au sein de cette filière le thème de «Mode & Vivant» de l’édition 2022 de ces Fashion Green Days. Présente à la table-ronde sur les circuit-courts, on peut cependant se demander ce que recouvre cette appellation. Plusieurs initiatives locales se développent dans les différents bassins de production. Dans les Alpes-Maritimes par exemple, le projet «Laine rebelle» illustre le circuit court de proximité: de la tonte au filage et à la confection de vêtements et accessoires vendus en boutique.

Lucille ose interroger cette notion de local: installée dans le Tarn, elle est plus proche des filatures du Nord de l’Italie (premier producteur de fils) à 600 km de Castres que de celles du Nord de la France situées à plus de 1 000 km. En Occitanie, l’élevage, le lavage, le tissage et l’ennoblissement se concentrent dans un périmètre de 800 km. Mais il faut parfois aller chercher du lin en Europe. Dans les deux cas, de nombreuses activités profitent à l’économie sur le territoire à un maillon ou un autre de la chaîne…

Lucile tisse son projet dans le métier, en véritable chef d’entreprise qu’elle est devenue, beaucoup par la force des choses. Elle aurait aimé pouvoir bénéficier d’une formation en alternance avec des stages pratiques qui répondent aux besoins de la filière. Or le secteur pèche encore par son manque de formations globales. Il y a un besoin de centres d’apprentissage pour former les futurs acteurs (pas seulement des designers textiles mais bien tous les corps de métiers) à autant de compétences requises: approvisionnement, gestion d’une usine, planning de fabrication, fabrication, entreprenariat, vente… Mais il est une chose que Lucile a appris – en circuit court sur le terrain – c’est à donner sa confiance et à engager la confiance de ses clients! Car, quand elle ne tisse pas, Lucile va à la rencontre des autres artisans, des écoles, des associations, des maisons de couture et des créateurs qui veulent rentrer dans cette économie circulaire. Je vous invite à aller, vous aussi, à regarder le replay de l’intervention de Lucile Martin à l’occasion d’une table ronde sur «Les circuits courts et la création».

 

(*) source: Senat.fr (2021)

Vérionique Juillet

Vérionique Juillet

Fondatrice de Marthe Paris et partenaire d’Origines Tissage pour la confection de robes urbaines en matières naturelles. Membre de l’équipe Animation du groupe Grand Paris de l’Association Fashion Green Hub depuis 2020.

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