Métavers, NFT, difficile d’ignorer les innovations digitales qui s’appuient sur la blockchain, et pénètrent progressivement nos imaginaires par le biais du récent changement de nom du groupe Facebook pour “Metaverse”, ou par celui du marché de l’art. Pour les marques de mode et en particulier les marques soucieuses de leur impact sur l’environnement, quelles opportunités représentent ces innovations?
L’expertise de l’un des cinquante spécialistes mondiaux des Métavers

Teddy Pahagbia a assisté aux débuts de l’Internet comme utilisateur puis comme professionnel. Ingénieur de formation, directeur IT, il a piloté des projets digitaux dans l’industrie, la finance ou la mode. Il a observé de près les évolutions qu’entraîne le digital au sein des entreprises et dans les habitudes des utilisateurs. Il se passionne pour les métavers qu’il voit émerger, et en particulier pour ce qu’ils peuvent améliorer dans la chaîne de valeurs d’une société. Teddy se spécialise très tôt sur cette technologie de l’information innovante qui implique des connaissances de fonds sur des sujets tels que la blockchain, l’intelligence artificielle, la réalité augmentée, ou le Cloud, entre autres. Aujourd’hui, le consultant est catégorique:
“Dans les mondes virtuels fictifs qu’ouvrent les métavers, seule la créativité est la limite”.
Lorsque des marques de mode s’adressent à lui, elles ont généralement une attente à court terme, celle d’améliorer l’expérience client e-commerce B2C avec un ROI rapide. Pour Teddy,
“le terreau que représentent ces innovations digitales est infini. Il est donc possible d’aller plus loin en se fixant des objectifs ambitieux à moyen et à long terme. Pour cela, j’aide d’abord la marque à prendre conscience que, loin d’un simple outil marketing, parler de métavers revient à évoquer la prochaine grande itération de l’Internet. J’analyse ensuite avec elle les briques déjà présentes dans sa société (organisation, technologie etc.), et les briques manquantes. Un état des lieux initial indispensable pour aborder ensuite avec la marque d’infinies possibilités pour elle!”.
Métavers, NFT, Avatars, quels “gains” pour la marque de mode?
Le NFT par exemple (“Non Fungible Token” ou “jeton non fongible”), représente une porte d’entrée vers le métavers pour la marque de mode. C’est un objet numérique tel qu’une image, une vidéo, un fichier audio, auquel est rattaché une identité numérique reliée à un ensemble de propriétaires, il est immuable et ineffaçable. Teddy explique:
“Avec le NFT, le déploiement d’offres potentielles est infini. Le NFT peut ainsi être attaché à un produit ou à un package sur-mesure de plusieurs produits, permettant de créer de la valeur, et donc une relation à long terme entre la marque et son client.”
Dolce & Gabbana: une marque exemplaire dans les NFT et la mode
Un bon exemple de succès récent du NFT appliqué à la mode est celui de la Collezione Genesi de la marque italienne de luxe Dolce & Gabbana. Deux robes, trois vestes, un costume, deux couronnes et un diadème ont ainsi été proposés aux acheteurs sous forme de NFT.

“Les ventes aux enchères ont débuté le 1er septembre sur UNXD, une marketplace dédiée au luxe digital et à la culture numérique. Ces NFT ont aussi permis à leurs acquéreurs de se faire confectionner des versions sur-mesure de ces pièces virtuelles au sein des ateliers milanais de la maison, de se rendre aux évènements couture de la marque pendant un an ou encore de recevoir des invitations à des expositions numériques. Le propriétaire peut jouir du produit virtuel attaché à son NFT. Par exemple, le faire porter par son avatar ou bien décider de le revendre. La ligne a connu un succès rapide, et une recette de 5,65 millions de dollars en moins de trois semaines.“
Les avatars: un potentiel pour les marques
Les avatars représentent aussi un potentiel encore sous-utilisé par les marques selon Teddy:
“le marché du jeu vidéo représente trois milliards d’utilisateurs dans le monde et 300 milliards de dollars de recettes en 2020, soit un nouveau marché pour la mode avec des enjeux colossaux.”
Depuis 2019, les exemples de collaborations avec des jeux vidéo émergent dans le secteur du luxe. Louis Vuitton a lancé le mouvement dès 2019 avec Riot Games. Puis a annoncé en avril 2021 sa prochaine collaboration avec Uniqlo. En effet, les tenues Marc Jacobs et Valentino font des apparitions dans Animal Crossing etc. En septembre 2021, Balenciaga a créé des tenues pour des personnages du jeu Fortnite. Les joueurs peuvent choisir des tenues et des accessoires mais également entrer dans une boutique de la marque et y exécuter une petite “danse Balenciaga”, ou proposer des photos de leurs personnages vêtus de leurs nouvelles tenues afin qu’elles soient diffusées sur les panneaux virtuels de Fortnite. Dans la réalité, les vrais humains ont pu découvrir le billboard de Doggo, l’un des personnages du jeu, sur Times Square et s’offrir des produits Balenciaga pour Fortnite en boutique.

Credit: Unreal Engine.
Marques émergentes, mode éthique: pour elles aussi “seule la créativité est la limite”
“Si les marques de luxe semblent montrer des voies intéressantes et que quelques expériences passionnantes voient le jour, aucune stratégie à long terme n’a pour l’instant véritablement émergé de leurs initiatives. Et puis, l’innovation n’est pas l’apanage des marques de luxe. Les technologies innovantes qui s’appuient sur la blockchain sont aussi accessibles aux petites sociétés. Celles qui n’ont pas les moyens de développer elles-mêmes leur propre blockchain peuvent tout simplement utiliser des blockchains publiques. Il s’agit avant tout d’une question de vision de l’entreprise.“

Exemple de succès marquant pour une petite société française: RTFKT. Une marque de baskets qui se dit “née dans le métavers” au début de l’ère Covid. Elle utilise les dernières technologies en matière de NFT, d’authentification blockchain et de réalité augmentée. Ces dernières sont combinées à une expertise de fabrication pour créer des baskets et des artefacts numériques. Les baskets sont disponibles “physiquement” à travers des événements virtuels exclusifs, pour ceux qui en possèdent les NFT.
“La marque à réussi, avec seulement deux ou trois développeurs et un designer sensible à l’innovation digitale, a réaliser une collection virtuelle qui a rapporté 3 millions d’euros en sept minutes. En deux ans, la société a vu son nom s’afficher sur Times Square.”
De même en ce qui concerne la mode éthique, Teddy souligne que l’on est encore aux prémisses. Il identifie d’ores et déjà les pistes à explorer avec les métavers.
“Il y a les sujets de la traçabilité, de la transparence en ce qui concerne la supply-chain, c’est-à-dire tout ce qui se passe avant la distribution du produit, avec AURA par exemple, la blockchain annoncée en avril 2021 par LVMH avec Prada et Richemont. Mais on peut aller plus loin et réfléchir à la distribution avec le crowdfunding de projets éthiques. Par exemple, on peut imaginer faire de la prévente en émettant des NFT pour un produit, la pratique de la pré-commande s’accélérant déjà avec une nouvelle génération de créateurs particulièrement concernée par l’écologie. Une fois le NFT vendu, son propriétaire y sera attaché, et pourra suivre ses produits et ses composants jusqu’à sa réception, puis le suivre ou le revendre. Il y a aussi le potentiel du marché de la seconde main”.
Un marché d’avenir de la mode “réelle”, estimé à 64 milliards de dollars dans les 5 ans. Selon Wired:
“avec les NFT, votre sac à main peut avoir une seconde vie virtuelle, être revendu, et la marque et les propriétaires pourront suivre la vie renouvelée du sac.”
L’éducation, seule véritable barrière à l’entrée
Si les opportunités sont à portée des marques de mode, l’évangélisation représente une étape fondamentale pour Teddy. En effet, elle a un impact décisif sur l’organisation des équipes et la vision de l’entreprise. Il interagit aujourd’hui avec plusieurs pôles à la fois, technique, marketing, innovation quand il existe. Mais aussi le poste de Chief Metaverse Officer qui permettrait une transversalité des connaissances reste pour l’instant extrêmement rare. Enfin, les outils pensés à l’origine pour des “geeks” s’améliorent mais ne sont pas encore tous “user-friendly”. Teddy donne 3 ans à l’industrie de la mode pour que chacun possède son “wallet”, tenez-vous prêts!
Interview de Teddy Pahagbia, fondateur de Blvckpixel, société de consulting en innovation digitale pour les marques. Il a intervenu le jeudi 9 décembre 2021 lors des Fashion Tech Days Mode Virtuelle.
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Vidya Narine
Entrepreneuse dans le secteur de la mode pendant quinze ans, Vidya Narine est désormais rédactrice free-lance pour les projets liés à l’industrie, avec une prédilection pour l’innovation, la mode éthique et la jeune création.
Crédit: Julie Berranger.