Article extrait de la revue Hummade #3 et rédigé par Catherine Dauriac.
Rappeler à la mode ses fondamentaux et sa fonction sociale: habiller les gens sans créer d’exclusion, notamment en cas de handicap. C’est la mission de Muriel Robine, Déléguée Générale de l’association COVER / COllectif autour du Vêtement ERgonomique. «Pas simple mais passionnant», dit-elle. Rencontre.

Muriel Robine
www.blog.bienaporter.com
Groupe Facebook: S’habiller avec un syndrome d’Ehlers-Danlos
Bien à Porter, le projet développé au sein de l’Association COVER, a pour objet d’aider les personnes en situation de handicap ou souffrant d’une pathologie à s’habiller au sein du prêt-à-porter. Autrement dit, « pouvoir porter la même seconde peau culturelle que le commun des mortels en choisissant des vêtements à son goût, confortables et seyants », sourit Muriel Robine. Et bien sûr, éthiques autant que possible !
« Aujourd’hui en France, sur 10 personnes qui entrent dans un magasin, 4 d’entre elles ont une problématique de santé », poursuit Muriel Robine en se basant sur des études sérieuses que son association mène tout au long de l’année.
«L’industrie de la mode ignore ces choses, même si elle commence à intégrer les problématiques de morphologie. En revanche, hors contexte sportif, ne sont toujours pas prises en compte les variations du corps : les mouvements contraints, les raideurs, mais aussi les douleurs, les troubles cognitifs ou cutanés ». Autant de notions trop souvent laissées à distance par l’industrie. Un terrain en friche, donc. Au sein de COVER, Muriel Robine a choisi de débroussailler le sujet en lançant des études, notamment sur les pathologies fines.

Livre S’habiller avec un syndrome d’Ehlers-Danlos (sortie mai 2021, plateformes plates-formes de vente en ligne)
La première restitution d’enquête sort en mai 2021, sous la forme d’un livre qui a pour titre S’habiller avec un syndrome d’Ehlers-Danlos. Cette maladie classifiée «rare» avec 5 000 patients officiels dont 80% de femmes plutôt jeunes: «1 sur 4 a moins de 30 ans, la moitié entre 30 et 49 ans, et 1 personne sur 5 seulement a plus de 50 ans». Rare? Elle semble plutôt hyper sous-diagnostiquée et concernerait au moins 500.000 personnes en France selon le Groupe d’études et de recherche du syndrome d’Ehlers-Danlos (GERSED). «Ce sous-diagnostic reflète la reconnaissance récente de la maladie», selon le Professeur Hamonet, médecin spécialiste de Médecine Physique et de Réadaptation et Docteur en Anthropologie sociale, expert du Syndrome d’Ehlers-Danlos (SED). De quoi s’agit-il ? Ce dysfonctionnement des tissus conjonctifs génère tout un tas de symptômes comme l’hyper-laxité (luxation de l’épaule lors de l’enfilage des vêtements), l’hyper-fatigue, une très forte sensibilité cutanée, des troubles de la proprioception, véritable sixième sens (perception innée de la position des différentes parties du corps dans l’espace) provoquant des troubles de l’équilibre.
«Selon les experts, 70 % des patients atteints de SED de type hyper-mobile sont susceptibles de porter un ou des vêtements compressifs. Parmi ceux-ci, on retrouve des gilets, des cyclistes ou panties, des mitaines, des coudières, des chaussettes… De nombreux patients du SED portent aussi des semelles orthopédiques ou autres orthèses plantaires, des colliers cervicaux (que l’on appelle communément minerves) ou encore des ceintures lombaires ou thoraco-lombaires », peut-on lire dans le livre. Il faut donc penser l’habillement en fonction de cette sous-couche très contraignante, avec des vêtements amples et légers, mais bien couvrants (pour des raisons esthétiques). Avec plus de 200 témoignages tous très émouvants, cet ouvrage – disponible sur les plateformes de vente en ligne – est un véritable outil stratégique à destination des marques de mode qui souhaiteraient développer des vêtements vraiment inclusifs. Mais le travail de COVER ne s’arrête pas là. D’autres enquêtes prévues dans un futur proche seront consacrées aux enjeux de l’habillement après une mastectomie ou pour qui souffre d’un lymphœdème (hyper gonflement de la jambe). Un travail mené avec la Ligue contre le cancer de Rouen, et avec une association et des kinés spécialisés dans le trouble du lymphœdème.
La suite? Pourquoi ne pas permettre aux clientes d’accéder à des informations ciblées relevant de la fiche technique du vêtement ? Pour Muriel Robine, «les descriptifs du produit sur le net pourraient aisément faire apparaître certains détails-clés pour tous les clients concernés par une problématique de santé». Avec Bien à Porter, elle a élaboré une première étude sur ce sujet, qu’elle souhaite pouvoir approfondir et expérimenter avec le soutien d’une marque partenaire. Développer de l’information d’un côté, mais aussi et surtout créer un cahier des charges pour ensuite aller rencontrer toutes les marques, puis développer une appli mobile. Les marques pourront implémenter jusqu’à 10 vêtements gratuitement, à charge pour elles d’adhérer pour offrir plus de choix à celles et ceux qui se trouvent, comme il est d’usage de dire, «hors du champ social», alors qu’ils en font intégralement partie.
Muriel Robine s’attriste aussi de l’indigence des descriptifs des vêtements sur les sites de e-commerce: «on aimerait avoir plus de détails sur la largeur des jambes de pantalon, ce que fait très bien La Redoute par exemple». Nous souhaitons vraiment sensibiliser les marques à collaborer avec nous. Lancer de nouvelles études vers les associations de patients avec comparaisons à l’étranger (Québec, Suisse), développer l’information, entraîner les marques à communiquer mieux vers le grand public sur leurs propositions… Un travail collectif nécessaire et un formidable programme d’inclusivité.
Ce qu’elles disent…
…sur les vêtements:
«Je les choisis plutôt amples pour éviter ou réduire les luxations d’épaule.»
«Il doit être facile à mettre et à enlever, ne doit pas mettre de pression sur les membres, ne doit pas serrer au niveau du cou, doit tenir chaud… et il faut que je puisse le mettre seule.»
«Je m’habille souvent au rayon garçon en ce qui concerne les t-shirts, ils me conviennent mieux car moins serrés sur le corps.»
«Il me faut absolument une matière douce ou «noble» type coton, rien qui soit agressif ou irritant pour ma peau. Il faut qu’elle respire à travers la fibre sans que cela engendre la moindre réaction.»
«Il faut choisir une matière qui ne gratte pas, ne fait pas transpirer, qui soit suffisamment ample pour enfiler facilement et ne pas blesser les épaules.»
«J’ai régulièrement des luxations, il me faut donc des vêtements faciles à enfiler.»
…sur les tops:
«Une matière confortable qui suit les mouvements du corps sans entraver, avec un joli décolleté et dans une matière toute douce.»
«Un t-shirt élégant, mais en même temps très confortable et ample.»
«Un petit haut en fibre naturelle, avec de l’élasticité et beaucoup de douceur. Une coupe cintrée mais pas près du corps, et une encolure en V.»
«La forme kimono!»

Catherine Dauriac
Rédactrice en chef adjointe de la revue Hummade et présidente de Fashion Revolution France.