
Olivier Ducatillion, PDG de l’entreprise Lemaître – Demeestere, est un fervent acteur de la relocalisation, dans les Hauts-de-France, de la filière lin. Au-delà de son expérience, il démontre que le Fabriqué en France peut apporter toutes les réponses aux attentes du consommateur, à conditions que…
Quand le chemin est ardu, il faut avancer pas à pas, éviter les faux pas. Vigilance et engagement! Quand on le questionne sur la relation entre le consommateur actuel et le Made in France, Olivier Ducatillion annonce la couleur:dire les choses!
«L’appellation Made in France prête à confusion aujourd’hui:je préfère parler du Fabriqué en France.»
L’achat à l’aveuglette tend à disparaître. Bon nombre de consommateurs prennent leurs lunettes, leur loupe ou leurs jumelles pour tout savoir sur le produit et acheter en cohérence avec leurs valeurs.
«Ce que veut le consommateur aujourd’hui, c’est que son achat ait du sens. Il veut que son achat soit citoyen au niveau de la planète, de l’environnement, de la santé et de l’économie locale. Il aime se dire qu’il va favoriser une entreprise qui crée des emplois en France, qui produit en France, qui paie ses impôts et ses charges en France.»
Et pour cela, le consommateur a besoin d’être guidé. Ils sont perdus face au brouhaha des informations trouvées ça et là, des labels ou des non-dits, poursuit l’industriel.
Le duo gagnant:transparence et traçabilité!
«Aujourd’hui, malheureusement, les marques ou les vendeurs utilisent parfois la complexité des informations pour rendre les choses peu accessibles ou confuses et le consommateur en a marre de se faire gruger! Il veut qu’on lui dise la vérité, que l’on décortique les différentes étapes de la production. Il veut tout savoir (où, comment, quelles matières?) et c’est bien légitime. Je trouve que parler du Fabriqué in France, c’est s’engager à la traçabilité et à la transparence. Il faut d’ailleurs distinguer les deux. On peut être transparent en disant que l’on fait fabriquer en Asie:on n’est pas pour autant vertueux, mais on a le mérite de dire les choses.»

La preuve par les labels?
«C’est un premier élément important, insister autant sur la transparence que sur la traçabilité. Et ensuite, il faut prouver tout ce que l’on dit. Toutes les entreprises ont un responsable RSE mais le consommateur s’en moque, il veut des faits concrets. Je pense que le Fabriqué en France aura plus d’impact et sera reconnu par le consommateur si celui-ci se sent à l’aise par rapport à tout ce qu’on lui dit et s’il n’a pas l’impression de se faire gruger.
Le déclaratif a ses limites parce ce que certains sont borderline dans leur communication. Et le consommateur va leur faire payer tôt ou tard. Nous avons donc tout intérêt à avancer sur le sujet. Je sais qu’il y a aujourd’hui des divergences sur la notion d’étiquetage. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut détailler les 5 étapes de production (de la matière jusqu’à la confection). On n’a rien à cacher et il faut prouver les choses par des labels par exemple.
Le problème, c’est qu’il y a une telle jungle, une telle lourdeur dans la mise en place des choses en collectif, que certaines marques développent leur propre traçabilité via des organismes extérieurs. Je trouve dommage que l’on n’ait pas réussi à avancer plus vite pour avoir un label collectif reconnu. J’insiste pour que l’on parvienne à mettre en place un étiquetage.»
Précisons que la société Lemaître – Demeestere bénéficie de plusieurs labels:Entreprise du Patrimoine Vivant, France Terre textile pour sa production exclusivement française et «Masters of Linen» garantissant traçabilité, qualité et créativité.

Un mouvement irréversible
«Dans le secteur textile, il y a tout un mouvement autour de l’éthique. France Terre textile encourage la transparence, notamment concernant les lieux de production. On peut toujours aller plus loin concernant la preuve. Je pense que l’on est parti sur un mouvement irréversible. Certains estiment qu’il suffit de communiquer et d’être un peu vague. Ils se trompent, à mon avis. Il faut prendre cela plus qu’au sérieux. La transparence est devenue un des critères d’achat les plus important pour le consommateur. Cela deviendra une exigence forte dans les années à venir.»
«Oui, à la transparence, oui à la traçabilité, donnons le maximum d’informations aux consommateurs et prouvons ce que nous avançons!»
Le Fabriqué en France accessible à tous?
«Le frein du prix est légitime. Il faut être clair:la mode durable ne concernera pas la plus grande partie de la population. La difficulté aujourd’hui, c’est que l’on avance sur des marchés qui bougent, des expériences de ré-industrialisation, de relocalisations, sans vraiment savoir la taille du marché que l’on a en face.
Pour certains consommateurs, ce sera une question de valeurs, ils vont consommer moins mais mieux. En effet, ils seront prêts à payer le prix si on les a rassurés sur la qualité et que le produit donne envie. Si le client est également rassuré sur le fait qu’en achetant ce produit, il participe à la création d’emplois, il fait un geste bon pour la planète, la santé, l’environnement, je pense qu’il acceptera de payer plus cher. Il y a surement un seuil psychologique, je ne le connais pas. Il y aura différents segments de clientèles. Les plus jeunes vont calculer, ils ne veulent pas acheter tout et n’importe quoi, ils veulent consommer moins et mieux. Il ne faut surtout pas culpabiliser les gens s’ils n’achètent pas des produits faits en France.
C’est utopique de penser que le Fabriqué en France est la préoccupation première de tout le monde, il y a bien d’autres priorités pour beaucoup. Ne rentrons pas dans une logique inquisitrice, moralisatrice. Donnons envie!»
Non à l’opportunisme
Et concernant le prix du Fabriqué en France, Olivier Ducatillion en appelle à la responsabilité collective et individuelle.
«Attention de ne pas créer d’opportunisme dans le fait de relocaliser, ou de se retrouver dans un secteur où la demande est forte. Attention de ne pas profiter de la situation de pénurie du Fabriqué en France, ou de la situation d’engouement pour la mode durable pour faire n’importe quoi au niveau des prix. En effet, le prix reste un handicap donc il faut, au contraire, donner l’accès au Fabriqué en France au maximum de consommateurs motivés, plutôt que de vouloir le positionner super haut et le réserver à une élite!»
Ré-industrialisons, oui mais…
«La relocalisation textile est positive dans la mesure où elle recrée des emplois et limite notre dépendance sur certains pans complets de l’économie et de l’industrie. Si je parle plus particulièrement de la filature du lin, je dis:attention! Ne reproduisons pas juste ce qui existait il y a 30 ans. Si on réindustrialise, il faut en profiter pour se poser les bonnes questions par rapport à l’écosystème. Mais aussi par rapport à notre façon de produire, à la main d’œuvre et à la formation qui ont changé. Il y a un besoin pour un type de production et de produit:comment faire mieux, comment être moins perméables aux agressions économiques ou environnementales? Il faut remettre en cause nos modes d’organisation, le choix des investissements.
Repenser les modèles, les méthodes, investir dans la robotique, l’automatisation, ce qui n’empêchera pas de créer des emplois. Il faut intégrer l’intelligence artificielle, et la data. C’est un sujet qui devient de plus en plus important dans nos entreprises et qui n’existait pas il y a 30 ans. Donnons-nous les moyens et ça viendra. Soyons lucides, on ne pourra sans doute pas tout faire en France, en une fois. Acceptons-le. On a avancé sur la confection, les matières, l’impression… Le fabriqué en France est une politique de petits pas.»
L’engouement pour le lin est-il représentatif des aspirations du consommateur ?
«Ah, Le lin! Cela fait des années que notre leitmotiv est «le lin, bon pour la santé, bon pour la planète». Le consommateur est content de savoir qu’acheter du lin n’abîme pas les sols, ne consomme pas d’eau, n’utilise quasiment pas de produits phytosanitaires. Il apprécie ses qualités : hypoallergénique, thermorégulateur. Le textile doit être un pourvoyeur de bien-être! Aussi bien par le côté esthétique que par le plaisir d’être bien dans son corps. Ce n’est pas moi qui vais dire le contraire, le lin et les produits qui en découlent cochent toutes les cases! Si la ré-indistrialisation des filatures se fait aujourd’hui, c’est parce ce que l’on est convaincu qu’il y a un marché.»
En résumé, le Fabriqué en France doit être irréprochable, traçable, durable, au juste prix, désirable! Et même plus…
« Quand on arrive à un bon résultat, c’est la combinaison de plusieurs facteurs, c’est une alchimie, conclut Olivier Ducatillion. Le côté affectif est différent selon le consommateur. Certains sont davantage touchés par l’action pour la planète, d’autres par la création d’emplois. Certaines valeurs nous font vibrer, il y a de l’émotion… Ce qui différencie le textile d’autres industries, c’est que l’on vend de l’amour!»

Pour en savoir plus sur le sujet, rendez-vous les 6, 7 et 8 octobre lors des Fashion Green Days Territoires Fabricants.

Sylvie Bourgougnon
Des femmes qui veulent construire un monde meilleur, qui rêvent de s’habiller autrement et de superbes tissus dormants, prêts pour une nouvelle vie… C’est la mode responsable que je co-construis dans la Loire, territoire riche de savoir-faire textiles, de solidarité et de créativité.