
Caroline Muller le dessine avec le consommateur au cœur. Depuis le début d’année, elle anime avec enthousiasme, simplicité et clarté, les cafés fertiles de Lyon. Elle a mené toute sa carrière dans le marketing et le développement commercial au sein d’entreprises agroalimentaires. Faisons un pas de côté avec cette passionnée de consommation raisonnée.
Caroline, quelle est ton regard sur la consommation?
« Depuis plus de 20 ans, j’ai toujours ancré mes choix d’entreprises en lien avec ma conception du mieux produire pour mieux consommer. J’ai beaucoup travaillé sur les enjeux du «manger plus sain et plus local». J’ai privilégié le sourcing des matières premières origine France, comme le lait et les pommes quand j’étais chez Yoplait ou Materne. Je me suis intéressée aussi aux emballages mieux conçus. Ces enjeux tiennent une place importante dans mon métier. Mieux consommer est une pratique de longue date dans ma vie personnelle aussi. J’ai grandi dans une famille où l’on valorisait les savoir-faire locaux et les produits de qualité. Et j’ai pris conscience très tôt que l’on a, en tant que professionnels, une responsabilité auprès du consommateur final. Ne pas faire manger n’importe quoi, à tout prix, à n’importe qui. »
Que retiens-tu de ce parcours?
« Si l’agroalimentaire est un phare dans la consommation responsable, c’est très lié au fait que le consommateur a établi un lien entre sa santé et ce qu’il mange. C’est un acquis maintenant, il n’y a plus à le démontrer. Le marché est fléché, le bio est un segment qui ne concerne pas qu’une minorité de consommateurs. Le nutriscore est entré dans les pratiques, le local est valorisé. Le consommateur fait maintenant un lien entre la qualité du produit et le made in France ou la production locale. Derrière tout cela, il faut avoir conscience que le client final considère toujours le bénéfice pour lui-même, indépendamment du bénéfice pour la planète ou l’humain. Quand on construit une offre, on doit se demander quelle sera sa contrepartie à lui. »
Combien de temps a pris cette évolution de la consommation dans l’agroalimentaire?
« La consommation plus responsable est évidemment plurielle. Le sujet numéro 1 a toujours été la santé dans l’agroalimentaire, et a toujours été plus ou moins incarné selon les marques. On a vu les premiers engagements des marques envers le sourcing local s’affirmer il y a une dizaine d’années. Et plus récemment la question des conditions de travail et de la juste rémunération des agriculteurs a émergé également. »
Les consommateurs ont-ils été acteurs de cette évolution ou plutôt manipulés?
« Les attentes des consommateurs se sont développées et dans le même temps les entreprises ont voulu y répondre. Les deux se sont alimentés. Certaines entreprises ont joué le jeu avec un engagement sincère de longue date. D’autres, plus opportunistes, surfent sur cette tendance pour augmenter leur chiffre d’affaires. Dans les deux cas, c’est une bonne chose pour le «mieux consommer». »
Caroline, pourquoi t’orientes-tu maintenant dans la mode durable?
« Il y avait un projet entrepreneurial dans l’air, l’envie de passer de l’univers salarié à la création d’une entreprise, un projet plus personnel. Je voulais acheter des vêtements plus responsables et je ne trouvais pas. À l’occasion du confinement, j’ai mené une veille intensive sur les réseaux et internet, je suis allée à la rencontre de cette offre. Elle existe mais elle n’est pas toujours visible. J’ai eu envie d’utiliser mes compétences pour elle:faire connaître et vendre.
J’ai donc un projet de distribution physique et digital de créateurs de mode durable. Je souhaite développer cette mode, à mon échelle, pour qu’elle touche davantage le grand public. Je suis sensible à l’empreinte carbone:nos habits doivent-ils faire trois fois le tour de la terre? Même si mieux produire engendre un coût et je sais que cette mode ne sera pas accessible en prix de manière massive. Peu de gens ont une connaissance fine de la mode durable. Quand on se lance dans un projet de mode durable, on embarque forcément une dimension pédagogique, comme cela a été le cas avec l’agroalimentaire. »
Quel parallèle peux-tu faire entre la mode durable et le «manger sain»?
« Il y a un pont à bâtir. Nous avons un rapport intime avec l’alimentation. Il peut en être de même avec le vêtement. Je crois aux belles histoires sur la confection du produit pour que le client l’achète en conscience. C’est ce que font d’ailleurs les jeunes marques. Il y a tout un discours émergent qui met en avant le bénéfice client:la qualité des vêtements et le fait qu’ils respectent mieux la santé de ce qui les fabriquent et de ceux qui les portent (moins d’adjuvants nocifs par exemple). »
Quid de la concurrence sur une plateforme de mode durable?
« Selon moi, actuellement, la concurrence est davantage en dehors de la mode durable. Mon concurrent numéro 1 reste la fast fashion, plus accessible. Au stade où nous en sommes, la multiplication des initiatives permet une meilleure connaissance de cette mode responsable, donc une meilleure transformation en offre d’achat. »
Quel est ton objectif en animant le café fertile de Lyon?
J’ai rejoint l’association Fashion Green Hub en début d’année 2020 pour aller à la rencontre de cet écosystème de la mode durable. J’aime le projet et j’ai eu l’opportunité de m’engager, sur la proposition d’Annick. Animer ce café fertile, c’est faire en sorte que les parties prenantes de la région (nous sommes une vingtaine) fassent connaissance et que l’on puisse promouvoir cette mode, ensemble. Ces deux axes sont connectés à mon projet et j’en suis ravie. Le principe du café est que l’on donne et que l’on reçoit. Il y a des interactions, des effets miroir et c’est très riche, au-delà des rencontres humaines. Pour rendre les cafés «fertiles», on se donne l’objectif de monter un événement. C’est un projet qui nous rassemble autour d’une cause qui nous anime tous. Et c’est enthousiasmant, ça donne corps à toutes les raisons pour lesquelles nous avons rejoint Fashion Green Hub. On cristallise!

Une anecdote, un souvenir marquant?
« Après des mois de cafés visio, quand nous nous sommes retrouvés pour la première fois dans l’atelier Maison Mabille, nous avons vécu un moment fort. Ce qui montre à quel point nous sommes des êtres sociaux! Quand on veut monter un projet, c’est important. Il y a une énergie qui circule quand on se voit et ça change tout, on renforce nos liens. »
(PS de la rédactrice:un moment fort aussi parce que le café virtuel est devenu apéro réel et les blagues de Laurence ont fusé au milieu des machines à coudre et des chemises suspendues, mais chut !)
Confidence pour confidence, Caroline…
« Sans doute en raison de mon parcours, j’ai une sensibilité créative et c’est probablement aussi pour cela que je me lance dans cet univers de la mode. C’est vrai que ça me titille… J’aime la création. Mon peintre préféré est Matisse pour les formes et les couleurs. J’aime les beaux vêtements, les belles coupes et j’adore le lin! Ma mère m’a offert pour mes 18 ans un ensemble en lin, c’est le début de ma relation avec cette matière, le toucher, la trame. Et depuis que je sais que le lin pousse chez nous et que les filières lin se développent en France… (c’est le grand amour, avoue-t-elle, avec les yeux). »

Sylvie Bourgougnon
Je cultive un projet d’upcycling dans la Loire, en co-production avec les femmes de ce territoire riche de savoir-faire textiles, de solidarité et de créativité.
« La créativité est une bobine qui se déroule à l’infini, tissant des liens colorés entre nous. »